http://www.reunion.iufm.fr/recherche/ir ... tiques.htm
Ces résultats d’indécidabilité font cesser les controverses, en montrant l’égale légitimité logique d’options contradictoires. Aussi n’est-on pas étonné de voir fleurir simultanément, depuis la fin du siècle dernier, des mathématiques ensemblistes de plus en plus abstraites : topologie générale, théorie de l’intégration, analyse fonctionnelle, analyse non standard, etc., qui n’hésitent pas à utiliser l’axiome du choix ou un de ses équivalents, et des mathématiques constructives, qui explorent le pouvoir d’expression des méthodes restreintes au fini et au dénombrable.
On doit reconnaître que l'utilisation, de plus en plus systématique, des ordinateurs pousse aujourd’hui le mathématicien à chercher des répliques algorithmiques des disciplines traditionnelles de l'infini et du continu : géométrie, analyse ou topologie. D’où le développement actuel des mathématiques «finitaires», c’est-à-dire fondées sur la base des entiers finis. D’un côté, on y considère que les seules entités effectivement données et les seuls processus effectivement exécutables sont finis. De l’autre, on y cherche à délimiter les moyens (constructions, règles, etc.) qui donnent accès, à partir de processus portant sur des entités finies, aux notions impliquant l’infini. Le «finitisme» de Hilbert n'a pas cessé de porter ses fruits.
Il est amusant de constater que l'Analyse non standard, qui avait, à ses débuts, une option franchement infinitiste et franchement actualiste pour faire accepter l’idée d’une extension non archimédienne de l’ensemble des nombres réels par des éléments infinis, se tourne elle aussi aujourd’hui vers des techniques finitaires. Des travaux récents introduisent en effet un modèle finitaire des nombres réels et du continu, en jouant sur deux échelles de grandeurs. Vu de près, un nombre réel est défini par un halo de nombres entiers. De loin, c'est-à-dire à une échelle macroscopique, le conglomérat de ces halos a toutes les caractéristiques du continu, indissociable de l'infini croyait-on d’Aristote à Cantor. On tend ainsi à arithmétiser, en un sens proche ou du moins hérité de celui de Kronecker, de nombreuses procédures classiques.
Le développement des mathématiques finitaires conduit à s’interroger sur la nécessité théorique d’assumer toute l’échelle des cardinaux transfinis de Cantor. Cette question, déjà posée par Emile Borel, est de nouveau à l'ordre du jour. Dans les mathématiques applicables au monde physique, on n’est pas contraint logiquement d’accepter l’infini actuel. Il est possible en effet de le contourner en se limitant à des espaces Rn ou Cn pour n fini, et d'envisager dans ces espaces des suites d’éléments (par définition une suite est dénombrable) au lieu d’ensembles arbitraires. On peut, par exemple, forger une définition séquentielle de la mesure pour les ensembles mesurables, les seuls dont on se serve effectivement. Mais on ne peut pas traiter d'ensembles non mesurables selon cette stratégie. Par ailleurs, de nombreux résultats mathématiques font un usage essentiel du transfini. Sans axiome du choix non dénombrable on ne saurait démontrer, par exemple, que tout espace vectoriel a une base, que tout ensemble ordonné inductif a un élément maximal (lemme de Zorn), que tout corps a une extension algébriquement close, etc.
La dualité fini/infini continue de tracer dans le champ mathématique une ligne de partage, que les mathématiciens redéfinissent sans cesse sans jamais l’abolir. S’il est relativement aisé de reconnaître la validité d’un résultat à partir d’hypothèses admises, il l’est beaucoup moins de se mettre d’accord sur les hypothèses que l’on peut ou doit admettre. Comme l’écrivait Henri Lebesgue, «à aucune époque les mathématiciens n’ont été entièrement d’accord sur l’ensemble de leur science que l’on dit être celle des vérités évidentes, absolues, indiscutables, définitives».